Songs for Mayotte (2) une médecine d'exception sur le sol de la République ? (été 2019)

Consultations médicales, au siège de l'association, ou "mobiles" en camion sur le terrain, de concert avec les équipes de sensibilisation communautaire, avec effort pour réorienter le patient dans le circuit de droit commun. Programme de dépistage de la malnutrition, en collaboration avec l'hôpital et La Croix Rouge Française, et la PMI. Prescription du Plumpy-nut, délivrance d'aide alimentaire.

Veille sanitaire, et recueil de témoignage en vue du plaidoyer pour l'amélioration de l'accès aux soins, porté par l'association. Les adultes rechignent de plus en plus à aller au dispensaire ou même aux urgences de l'hôpital,  par peur de la police, et parce que les longues attentes ne sont pas compatibles et/ou passent au second plan avec les stratégies de survie dans les bangas.

Outre son rôle de soins de santé primaires, la consultation est aussi pour les patients adultes une occasion fréquente de « déposer », sous couvert d'une affection intercurrente ou d'une pathologie d'un enfant, deux types de plaintes parfois intriquées: détresse sociale, et douleurs chroniques, ces dernières étant très souvent l'expression de l'accumulation des difficultés quotidiennes pour les mamans (trajets importants avec ports de charges, difficultés à subvenir à l'alimentation des enfants, grossesses répétées plus ou moins acceptées, pressions familiales, violences conjugales, etc...), et parfois également l'expression somatique de traumas subis avant ou durant la migration vers Mayotte, ou même lors du déplacement forcé d'un banga l'autre dans Mayotte, à la suite de "décalages". Outre le stress du délogement brutal, les personnes qui réinvestissent un autre manga deviennent, en tant que dernières arrivées, les plus mal insérées dans les réseaux de survie du bidonville, ont un accès extrêmement restreint à l'eau y compris de boisson...).

Interventions à la demande de l'ARS pour confirmer et traiter des foyers de gale dans des logement de demandeurs d'asile (réfugiés d'Afrique centrale).  

La pression policière croissante vient s'ajouter à la rareté structurelle de l'offre de soins, à la discrimination et aux stratégies de découragement des populations précaires par les structures de santé, pour entraver l'accès aux soins des populations migrantes. L'absence dans le département (encore une exception Mayotte...) d'une PASS est bien sûr extrêmement préjudiciable en terme de santé publique pour tous les habitants de l'île. 

Les populations précaires des bangas n'ont ni information correcte sur la contraception, ni accès simple à cette dernière. À l'hôpital, des patientes se voient poser un implant contraceptif au décours de l'accouchement sans en avoir bien saisi le rôle ou les conséquences. À la PMI, des femmes souhaitant se faire retirer l'implant se font refuser sous prétexte que la période de deux ans d'efficacité du dispositif n'est pas terminée, même si 6 mois avant cette échéance elles souhaitent une nouvelle grossesse... À l'inverse, des ruptures de stock à la PMI retardent la pose d'autres implants réellement souhaités par les patientes, à qui il est parfois lancé « allez vous faire soigner dans le privé »... L'acceptation culturelle de l'IVG reste extrêmement faible, la femme enceinte devant en pratique se soumettre à la pression du mari et de la famille. La prostitution de survie de nombreuses jeunes mères isolées semble très fréquente. L'utilisation des préservatifs semble peu répandue et liée au bon vouloir de l'homme.

Une maman célibataire de 31 ans, 9 enfants dont 6 à Mayotte. Sa maison très en périphérie du banga vient de brûler dans le récent incendie de la déchetterie, sa famille est hébergée par des voisins. On apprend au cours de la consultation qu'elle fait des petits boulots quand elle peut, mais aussi se prostitue occasionnellement pour survivre.

Travailler à Mayotte est une expérience à la fois extrêmement enrichissante et révoltante. Révoltante tant les communautés ont été amenées, en raison du statut administratif actuel de l'île, à être opposées les unes aux autres sans qu'une réponse autre que répressive se dessine; passionnante car dans cette situation quasi-expérimentale où des bouleversements économiques majeurs créent des inégalités et des discriminations criantes, les projets des associations de solidarité peuvent par leur immersion proposer des solutions originales dont l'ensemble de la population pourrait bénéficier.