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26 septembre 2022 1 26 /09 /septembre /2022 13:22
Songs for Mayotte (1) récits de patients du "plus grand bidonville de France"
 

Ne sont pas rappelés ici :

  •   Les très nombreux refus de prise en charge d'adultes ne pouvant s'acquitter des dix euros forfaitaires au dispensaire de l'hôpital, ou des vingt euros de consultation sur rendez-vous ;

  •   Les très nombreuses discriminations et vexations subies par les patients en situation irrégulière, qui se sentent souvent mal accueillis dans les structures de soins, et parfois même évincées.

  •  

Les associations n'ont obtenu qu'assez récemment à Mayotte,, à l'issue d'un conflit juridique, le respect dans le département de l'obligation de soins gratuits à tout mineur ou toute femme enceinte présente sur le territoire de la République...mais on va le voir des détournements persistent...

 

 

Refus de délivrance gratuite de médicaments à mineurs, ou à adultes avec pathologies graves:

 

Enfant de 4 mois qui a consulté au dispensaire du CHM Jacaranda pour fièvre et infection aiguë des voies respiratoires supérieures, refus de délivrance des antipyrétiques à la mère par la pharmacie du CHM, se présente à la consultation de l'association quelques jours plus tard (les antipyrétiques ne sont plus délivrés par la pharmacie hospitalière et les patients renvoyés vers les officines privées, alors qu'il s'agit de médicament de première nécessité pour les enfants et tout particulièrement les nourrissons fébriles. Il s'agit à l'évidence d'une procédure détournée de refus de soins à mineurs par l'hôpital public).

 

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Enfant de 19 mois ayant consulté aux urgences il y a quelques jours, même refus de délivrance de médicaments, revient ce jour pour la même pathologie restée sans traitement (bronchite), maman célibataire de 17 ans, enfant à la limite de la malnutrition ayant présenté plusieurs épisodes de gastro- entérite, retard vaccinal en raison de nombreuses affections fébriles intercurrentes. Devra finalement être hospitalisé une semaine plus tard pour aggravation respiratoire, avec nécessité de soins intensifs (
outre les risques médicaux encourus, les retards de soins générés par les politiques de restriction des droits sont également contre-productifs en termes d'économie de la santé, les pathologies devenant plus lourdes, et conduisant ici à l'hospitalisation avec ses coûts élevés). ÷

 

Patient en ALD pour diabète et HTA compliquée, refus de délivrance gratuite de médicaments par la pharmacie du CHM après consultation à Jacaranda, son titre de séjour étant expiré il doit s'acquitter d'un bon de circulation de 10 euros (des refus, interruptions et retards de soins sont fréquents chez des patients aux traitements lourds tels que diabète ou HTA compliqués, hépatites B chroniques, etc... et ne peuvent que générer des complications médicales graves, handicapantes, et qui devront être traitées en urgence ou en hospitalisation lourde, grévant alors bien plus le budget hospitalier qu'une simple délivrance de médicament

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Patient de 56 ans avec asthme sévère sous traitement combiné. Refus de délivrance de titre de recette à Jacaranda, et donc non délivrance du traitement... (
d'une façon générale, la délivrance des traitements pour les maladies chroniques graves, qui devraient dans un état de droit relever de l'ALD pour les affiliés, de l'AME pour les non affiliés, du DSUV pour les personnes en situation irrégulière au titre du séjour, relève à Mayotte d'une loterie incompréhensible et/ou du bon vouloir d'un agent d'accueil...)

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Enfant de 7 ans 1⁄2 habitant du bidonville de Bandrajou/Kaweni et dont la vaccination ROR n'est pas à jour, mais qui se voir refuser l'accès à la PMI sous prétexte « qu'il n'a pas d'adresse » prouvant qu'il dépend bien de cette PMI (sans commentaire en cette période à risque épidémique de rougeole ...)

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Enfant de 9 ans, brûlure oculaire par détergent, envoyée aux urgences par le médecin de l'association. Des urgences l'enfant est adressée en ophtalmologie où elle est examinée. Mais pour la délivrance des médicaments, on lui facture un bon de circulation de 20 euros, soit le prix d'une consultation adulte en ophtalmo... La maman ne pouvant payer, l'association devra prendre en charge les médicaments auprès d'une pharmacie privée... (
bel exemple de détournement de la gratuité des soins aux enfants, même en urgence...On est malheureusement dans la « logique » du récent document de service du CHM « renforcement de l'accessibilité aux soins » (sic) qui énonce : "tous les bénéficiaires de consultations sur rendez-vous sont tenus de payer l'acte (moins de 18 ans et femmes enceintes comprises)" ce qui est est bien sûr une clause inacceptable au vu des lois sur la protection maternelle et infantile de 1945 et du code de santé publique de mai 2012).

 

Impact des expulsions de parents sur la santé des enfants:

 

 

Enfant de 14 mois présentant à la consultation une malnutrition aiguë modérée. L'enfant a vu sa courbe de poids se « casser » depuis son voyage retour avec sa maman à Mayotte il y a un mois, problèmes alimentaires importants du foyer, l'enfant est surtout nourrie de quelques tétées, parfois refusées, et de bouillies de riz à l'eau

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Deux autres exemples de « cassure » de la courbe de poids, l'un chez un enfant de 6 mois, l'autre chez un enfant de 3 ans, couple mère-enfant expulsé ensemble dans un cas, mère expulsée seule dans l'autre cas, enfants vus en consultation à la suite du voyage « retour » quelques semaines plus tard (
les conditions de survie dans le bidonville sont déjà extrêmement difficiles pour tous à la base, et les allers-retours d'enfants accompagnés de leur maman ou les séparations maman/enfants générées par la politique d'expulsions de masse rompent des équilibres déjà très précaires dans les stratégies d'approvisionnement en nourriture des familles, sans parler de la pénibilité des voyages en bateau pour les enfants)

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Un enfant de 8 ans avec une déficience intellectuelle nous est amené au camion par une voisine qui s'occupe de lui depuis ce matin : sa maman vient d'être raflée. L'enfant est suivi très régulièrement en pédiatrie, il a une dérivation ventriculo-péritonéale, doit être vu par la prochaine mission de neurochirurgie pour avis, prend un traitement anti-épileptique, personne ne sait s'il a pris les comprimés aujourd'hui (le père est peu présent, devant travailler pour subvenir à sa nombreuse famille). L'enfant est à peine autonome pour l'habillage et la toilette, doit être aidé pour les repas, il a besoin de l'aide et de la surveillance de sa mère au quotidien. Nous intervenons auprès du service médical du CRA pour demander la libération de la mère. Le chef de service de pédiatrie fait la même demande. Sans succès : la mère est expulsée vers les Comores avant même d'atteindre le CRA. Comble de l'aberration, le carnet médical de l'enfant, réclamé par la police à la suite de nos demandes, reste entre les mains de la mère qui ne trouve aucune personne de confiance à qui le confier. L'enfant handicapé est donc séparé de sa mère et privé de son dossier médical... (
les rafles se font à l'aveugle et sans aucune considération médicale ni humanitaire)

 

 

Restrictions à l’accès au soins en raison de la pression policière

De nombreux patients hésitent de plus en plus ou souvent même renoncent à se rendre aux urgences du CHM, au "dispensaire" de l'hôpital à Mamoudzou, ou auprès d’autres prestataires de soins auxquels nous les référons, par crainte d’une arrestation par la police lors du trajet. En effet le fait de se rendre à l'hôpital, même pour y accompagner un enfant malade, ne met pas à l'abri d'une rafle.

 

Fin mai, je dois hospitaliser en urgence au CHM une petite fille de 3 ans aux lourds antécédents cardiaques et en détresse respiratoire. En quelques jours son état s’améliore, à sa sortie les médecins veulent planifier un suivi régulier auprès d’un pédiatre de l’hôpital : la maman ne se rendra pas à ces rendez-vous par crainte d’une arrestation sur les trajets, elle ne veut consulter qu’au centre médical de notre association car il est proche du domicile, c'est moins risqué. L’enfant n'y sera revu en consultation de contrôle que trois semaines après sa sortie d’hospitalisation, soit un délai beaucoup trop important au vu de sa pathologie

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Fin mai, un mineur de 6 ans se présente à la consultation  non accompagné d’un de ses parents, mais uniquement « escorté » d’un cousin mineur de 14 ans. Dans cette situation aucune délivrance de médicaments n’est légalement possible. Appelée au téléphone, la maman déclare qu’elle n’a pas osé descendre au centre de peur d’être arrêtée par la police, mais elle a estimé que des enfants seuls avaient moins de risque d’être interpellés...

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Fin mai, j’adresse en chirurgie un patient présentant un volumineux abcès en regard du genou et nécessitant un drainage. Il ne se rendra pas à l’hôpital par crainte de la police, faisant courir un risque grave à son articulation.

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Fin mai, une autre patiente nécessitant une exploration chirurgicale d’une plaie de la cheville refusera catégoriquement de se rendre aux urgences par peur d’être interpellée et sera donc soignée « avec les moyens du bord » au centre.

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Depuis juin, les patients sont de plus en plus réticents à se rendre au dispensaire de l'hôpital à Mamoudzou  pour les consultations de suivi de pathologies chroniques, que nous n’assurons pas au centre car elles nécessitent des investigations complémentaires. La peur de la police est parfois un élément encore plus démotivant que le fait de devoir payer la consultation. Même chose pour les vaccinations, le trajet est également de plus en plus redouté. Le trajet jusqu’à la PMI de Kaweni est un peu moins craint ; par contre les patients hésitent de plus en plus à se rendre à la pharmacie en ville où nous les adressons parfois pour délivrance gratuite des médicaments dont nous ne disposons pas, car la police est très souvent en faction au « rond-point SFR » .

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Mi-juin la pression policière s’est accentuée dans le quartier Kaweni même, des véhicules de police patrouillant même dans la rue desservant le dispensaire. Des patients renoncent à venir consulter au centre, la police étant très souvent postée à côté du collège voisin. Le 19 juin, seuls 6 patients (!) ont osé venir consulter, alors qu’ils nous signalaient des malades restés à domicile, car dès l’aube des patrouilles de police se sont présentées dans les bangas pour contrôles...

Cette pression « sécuritaire » ne peut avoir que de graves conséquences en terme de santé publique. La peur des rafles aux alentours du centre ou même du camion est peut-être parfois disproportionnée mais elle représente par elle-même un obstacle aux soins. Conséquence de cette peur omniprésente, certains patients en viennent même à attribuer leur maux aux violences policières : une patiente qui a chuté il y a trois jours en fuyant la PAF, et s'est cognée au cou, présente une dysphagie depuis et attribue la douleur à la chute. Elle présente ce jour ... une magnifique angine sans rapport direct évidemment avec les violences policières.

 

 

Alerte de santé publique : à « Bandrajou-forêt » (arrivants les plus récents) le problème n'est plus l'accès à une eau de qualité mais à de l'eau tout court : les mamans nous expliquent qu'elles se restreignent sur l'eau de boisson... En bas du banga, le puits est à sec aux dernières nouvelles. Et la mise en service de la borne fontaine obtenue par les associations est toujours retardée... On passe d'un risque sanitaire (diarrhées, surinfections cutanées, etc...) à un problème de survie tout court... La PMI également nous a alerté sur des situations préoccupantes pour les enfants dans ce quartier le plus en difficultés.

 

Avec la fin de la saison humide, quand une  journées de consultation a pu être réalisée dans un quartier plus éloigné, nous rencontrons au camion une population plus âgée et plus porteuse de pathologies chroniques, et des personnes handicapées  (y compris des enfants que les parents n'amenaient pas spontanément en consultation au centre), tandis qu'au centre la consultation concerne surtout les jeunes mamans et leurs enfants. 

 

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